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Baptiste Tiberghien

Le Queyras, une traversée d'anthologie en ski de randonnée

La traversée du Queyras en ski de randonnée nous semblait une aimable initiation. Une entrée en matière sans brusquerie, histoire de voir...
Quatre jours d’abord avec Côme, magnat de la montagne, et Augustin traditionnel acolyte d’aventure. Puis, au mitan du périple, permutation : Augustin sortirait du cadre, remplacé par Nestor et Timothée.

Cette expédition a été rendue possible grâce à labellenergie , fournisseur d’électricité verte, qui nous a soutenu sur ce projet

De cette expérience, nous avons tiré le meilleur itinéraire possible pour une première immersion de 3/4 jours dans le massif. Détaillé, illustré, l'itinéraire et sa trace GPX vous attendent à la fin du récit.

Jour 1 : L'Echalp - Refuge d'hiver du Viso

Après ce qu’on pourrait appeler une bonne sieste, le train de nuit nous dépose à Guillestre, caravansérail des randonneurs et verrou naturel entre les vallées du Guil et de la Durance.

Sur la route menant au départ de l’expédition à Abriès, la citadelle Vauban de Mont-Dauphin dresse sa silhouette austère, témoin muet des luttes d’antan où Français et Savoyards s’arrachaient ces montagnes à coups de sièges et de trahisons. J'en profite pour apprendre l’existence de la Ligue d’Augsbourg, une vaste coalition où l’Europe entière s’était liguée contre Louis XIV, bien décidé, lui, à étendre son royaume. En 1690, sous la pression du Saint-Empire, du pape et de l’Angleterre, le duc de Savoie changea de camp et rejoignit l’alliance. Mal lui en pris : l’armée royale ne fit pas dans la dentelle. De la Maurienne jusqu’au Piémont, la vallée fut ravagée, incendiée, réduite en cendres sous les assauts français. Les affrontements s’étirèrent encore, des années durant, jusqu’en 1713, où le traité d’Utrecht vint enfin mettre un point final à ces querelles récurrentes. Une signature, quelques lignes, et la Savoie, notamment, cessa d’être un problème pour la France.

Nous arrivons enfin à notre point de départ. Là, après un ravitaillement dont nous mesurerons bientôt les limites – beaucoup trop maigre en génépi, c’est une certitude –, nous chaussons les skis et prenons la route du refuge d’hiver du Viso.

Sur notre forme physique, nous n’avons aucun doute. Augustin et moi fanfaronnons : aucune montée ne nous effraie. Côme, lui, feint la modestie — pas une fusée, jure-t-il. La blague... Après deux virages, il file déjà devant, tandis que nous, derrière, tentons de sauver la face.

Le décor s’ouvre peu à peu, les mélèzes s’effacent au profit d’un univers de roc et de glace. La Lombarde, qui a soufflé les jours précédents, a balayé les faces Est, amassant la neige sur les versants Ouest.

Refuge d'hiver du Viso et le dit Mont

Nous trouvons le refuge du Viso fermé. Un problème de poignée, de serrure, impossible d’y entrer malgré tous nos efforts. Trois options s’offrent alors à nous : remonter un couloir raide de 200 mètres jusqu’à la pointe Venezia, où un abri militaire prévu pour deux nous attend ; basculer sur le versant italien et rejoindre le refuge d’hiver de Vallante ; ou, plus simple, dormir dans une cabane de berger des environs.

L’appel pressant du génépi et sa proximité nous font évidemment opter pour la cabane, au demeurant très confortable – un rez-de-chaussée en terre battue, une table, une mezzanine et six lits.

Loin de toute présence humaine, nous faisons un véritable festin : boulgour, sauce aux petits légumes, la bouteille de génépi vidée jusqu’à la dernière goutte. On joue aux cartes, repus, heureux.

Jour 2 : Refuge d'hiver du Viso - Chianale

Le deuxième jour, la montagne nous rappelle à l’ordre : jour blanc, neige en continu, rafales sur rafales. Nous n’avons pas signé pour ça, mais la montagne, elle, n’a rien signé du tout.

Nous montons durant deux heures, les couteaux de nos skis mordent la pente raide de la pointe Joanne, le souffle court, les visages fouettés par le froid. De petits stalactites s’accrochent à nos moustaches.

Montée dans la Pointe Joanne et  rafales de neige

Et puis, enfin, la vallée tant espérée se dévoile. La Lombarde avait sévi les jours précédents, raclant ce versant sud jusqu’à la roche. Dans le Nord-Pas-de-Calais, on skie paraît-il sur des terrils, au Qatar dans des centres commerciaux. Nous, avec un brio certain, allons skier entre buissons, prairies et rochers.

La descente est à la hauteur du reste : éprouvante. Plus longue encore que la montée, plus technique aussi. Augustin, lui, commence à préparer sa désertion. Subitement, il nous annonce qu’il a mal au pied.

Le bivouac Olivero, objectif initial, reste hors de portée. À la place, nous arrivons dans un village désert : Chianale.

La descente au village et notre couple d'anges gardiens

Là, nous rencontrons Daniel notre ange gardien, chef d’une jolie famille dont tous parlent un français impeccable – héritage, nous disent-ils, de cette région autrefois occitane.

Ils nous recueillent dans leur magasin de décoration, nous ouvrent la salle des fêtes, allument le poêle à granulés et, comme s’ils avaient lu dans nos esprits, nous glissent un pack de bières.

Une fois de plus livrés à la providence, je mesure la bonté de ces hommes et femmes qui, sans hésiter, ouvrent leur porte aux aventuriers improvisés que nous sommes.

Jour 3 : Chianale - Bivouac Enrico Olivero

Ce matin-là, la famille italienne nous accueille avec un café serré et des biscuits du coin. Beatrice, la mère, sculpte des boules décoratives dans du pin cembro – essence typique du Mont Viso, précise-t-elle – tout en nous bombardant de questions. Son geste est vif, précis, hypnotisant.

Le couple nous raconte les histoires du village, un hameau de trente âmes l’hiver, contre deux mille l’été. L’une d’elles me marque particulièrement : en 2005, il était tombé quatre mètres de neige en trois jours. Entrées condamnées, habitants évacués, il avait fallu faire venir une dameuse de la vallée pour dégager la route. Mais à force de tailler dans la congère, elle ne vit pas qu’elle montait… sur un amas de voitures ensevelies, traçant, sans s’en rendre compte, une route suspendue au-dessus des véhicules.

Augustin, lui, avait médité toute la nuit. Ses pieds le faisait trop souffrir pour continuer. Il décide de rentrer en France en stop. Trois heures et demie de voiture, soit peu ou prou le temps qu’un bon marcheur mettrait à pied, l’hiver bloquant les grands cols.

Reste à savoir qui, de Côme ou moi, sera le dernier survivant de cette aventure. J'étais prêt à employer les grands moyens.

Nous partons revigorés par cette nuit au chaud. La météo, miraculeusement clémente, nous escorte sur les premiers mètres du col Agnel, avant que nous ne bifurquions plus au sud. En contrebas, des fortifications délabrées racontent encore le temps où des douaniers surveillaient ces montagnes, aujourd’hui livrées au vent et à l’oubli.

Nous gravissons la forêt, crampons aux pieds, slalomant entre mélèzes et pins. À la lisière, la pente se redresse. Il faut déchausser à plusieurs reprises, escalader de courtes parois rocheuses. Une fois, je me retrouve bloqué, tandis que Côme franchit l’obstacle avec une aisance suspecte. Je comprends alors son petit jeu : il cherche clairement à se débarrasser de moi. Je ne vais pas me laisser faire.

Arrivés au lac Bleu, à mi-parcours, nous faisons une pause déjeuner. Face à nous, le mont Viso. Avec ses 500 mètres de plus que ses voisins, il domine le paysage d’une arrogance fascinante. Je comprends alors pourquoi les Romains le considéraient comme la plus haute montagne des Alpes. Les chamois courent sur les falaises.

Vers 17 h, nous atteignons le sommet de notre ascension, prélude à une descente parfaite vers le bivouac Enrico Olivero. Un moment suspendu, hors du temps, une glisse fluide dans une poudreuse divine, les yeux rivés sur l’horizon rosé.

Nous arrivons au bivouac, en guise de bienvenue, une bouteille de vin blanc trône sur la table, accompagnée d’un petit mot griffonné : « Bouteille ouverte pour une superbe fondue le 3/10. Servez-vous. » Je n’aime pas qu’on me donne des ordres, mais celui-là, j’obéis sans discuter.

Couleurs de fin de journée vers le Bivouac Olivero

Bivouac Olivero et sa vue sur le Mont Viso

Jour 4 : Bivouac Olivero - Refuge de la Blanche - Guillestre

La mission du jour : récupérer Nestor et Timothée à Guillestre et, tant qu’à faire, nous ravitailler.

Nous nous réveillons de bonne heure. Les gourdes sont gelées, -2°C dans le bivouac. Rien d’étonnant : une vague de froid s’etait installée sur les Alpes depuis plusieurs jours, et la nuit, la température était tombée à -15°C.

Nous nous mettons en route, longeant une crête jusqu’au pied de la Tête de Toilies. La météo ? Couverture nuageuse sur le versant italien, ciel dégagé côté français. J’apprends plus tard que c’est monnaie courante ici : la plaine du Pô fait remonter beaucoup d’humidité vers le nord, et les nuages, butent contre la muraille alpine, et viennent mourir autour du Viso.

Après deux heures d’ascension, nous atteignons le col. L’ascension de la Tête de Toilies, un temps envisagée, est vite abandonnée : sans corde, trop risqué. On la remettra à l’été.

Pour passer côté français, il faut descendre à l’ouest. Tout en bas, on aperçoit la chapelle de Saint-Véran, minuscule dans l’immensité blanche. Entre elle et nous, une pente à 50°, un mur de neige miné de rochers où la chute ne pardonne pas. Côme, bien sûr, y voit une formalité. Je comprends vite qu’il compte encore se débarrasser de moi. Il me faut parlementer, négocier un autre itinéraire. Finalement, nous obliquons vers le sud du cirque, en quête d’une pente plus clémente.

Pour cela, nous devons suivre la crête, monter à la Petite Tête Noire avant de pouvoir rechausser et glisser vers la vallée. Nous levons les yeux pour repérer notre itinéraire et, là, moment suspendu : un bouquetin solitaire, posté vingt mètres au-dessus de nous, nous toise un instant avant de détaler. Il a fui, mais pas assez vite pour échapper à l’objectif du Panasonic S5D de Côme.

Le fameux bouquetin taciturne

La courte montée nous offre par endroits des à pics vertigineux. Arrivés en haut, un caillou sur le cairn – rituel oblige –, puis nous chaussons et amorçons la descente.

Sommet et route de la petite tête noir

Vingt minutes de pur bonheur. De la poudreuse parfaite, des courbes ciselées avec minutie. Le genre de descente où le monde disparaît, où seule compte la ligne qu’on dessine dans la pente.

Arrivés au refuge de la Blanche : une grosse bière, quelques accords de guitare, une partie d’échecs. Le luxe. Pour la première fois en quatre jours, nous sommes vraiment au chaud. En ville, rien qu’un confort ordinaire, ici, une bénédiction. Les rencontres, elles, se font naturellement, sans préambule ni fioritures, le décor sert d’amorce à chaque conversation, comme si parler de la montagne suffit à tout dire.

Jour 5 : Saint Véran - Bivacco Olivero

Nous repartons de Guillestre, après une nuit dans une auberge de jeunesse. La journée annonce sportive : départ tardif, longue étape pour rallier le bivouac Olivero, et, cette fois, deux nouveaux compagnons dans l’équipe.

Nestor, futur psychiatre, Timothée, futur chirurgien – spécialité molle – et Côme ménent la danse. Une manière élégante de dire que je suis à la traîne. Un peu avant 14 h, nous atteignons le refuge de la Blanche. Juste le temps d’un dernier café serré, d’un plein rapide des bouteilles pour les trois jours à venir, et nous sommes repartis.

Nous montons dans une poudreuse épaisse, direction le col du Blanchet. Jour blanc, peu de relief, ni d’horizon. Nous atteignons le sommet à la tombée de la nuit. Reste la descente vers le bivouac Olivero. Nocturne, cette fois.

Descente de nuit depuis le Col du Blanchet

Jour 6 : Bivouac Olivero - Bivouac Franco Boerio

Aujourd’hui, nous devons rejoindre le bivouac Franco Boerio, perché à 3 100 m. Sa forme, sa manière de se fondre dans le décor, ses lits douillets, tout en lui m’avait fait rêver.

Nous filons vers l’est, sous le pic de Rubren et sa roche orangée, avant d’attaquer la montée vers le col de Salsa. Les pentes se redressent, les conversions s’enchaînent, plus assurées qu’au premier jour. Petit à petit, le dénivelé se gagne.

Au col, l’évidence s’impose : le mont Salsa. D'un côté une crête escarpée, de l'autre une pente lisse nappée d'une neige immaculée. Nous ne pouvons pas passer à côté. Les derniers mètres sont raides : nous déchaussons, enfilons les crampons et progressons lentement jusqu’à la croix sommital. 3 400 m. Panorama incroyable. Un 360° à couper le souffle. Au loin, le mont Blanc flotte au-dessus des crêtes.

Dernier mètres vers le Mont De Salsa

Je sors le drone. Trois minutes chrono. Le temps d’un parallaxe complet avant que mes doigts ne gèlent.

La descente est un vrai régal. Une neige parfaite, une glisse fluide, l’impression de voler. Nous atterrissons sur le lac de Mongoia. Face à nous, dans un halo lumineux, le bivouac siège.

Descente vers le refuge Boerio avec le pic de Rubren dans le fond

-15°C dehors. Nous profitons des dernières couleurs pour quelques photos. À l’est, la montagne plonge si brutalement que la vallée apparaît en entier. Turin scintille au loin. Nous sommes seuls, absolument seuls.

Un bon jeu de société, un risotto fumant, du jazz en fond sonore. Le monde s’arrête là. Chaque geste devient une célébration : manger un plat chaud, faire fondre de la neige, boire un thé. Le luxe tient à peu de choses.

Bivouac Franco Boerio 3100m d'altitude et une vue à couper le souffle sur la plaine du pô

Itinéraire recommandé : 3 jours pour découvrir le Queyras en ski de rando

Jour 1 :

Pour une première immersion dans le massif, un itinéraire accessible consiste à partir de Saint-Véran en direction du refuge de la Blanche (comptez 2 à 3 heures). Si vous partez tôt, vous pourrez y déjeuner : ne manquez pas les pâtes au bleu du Queyras, un vrai régal ! La nuit au refuge est possible, mais mieux vaut réserver à l'avance, surtout les week-ends et pendant les vacances.

L'après-midi, vous pouvez poursuivre vers le versant italien en passant par le col du Blanchet, direction le refuge Enrico Olivero (environ 3 heures de montée). Ce refuge d’architecte, perché face au Mont Viso, émerveille par son design épuré et son emplacement exceptionnel. Il offre 6 couchages confortables, mais reste non chauffé : un bon duvet est indispensable.

Jour 2 :

Le lendemain, cap sur le refuge Franco Boerio (3 100 m), il offre une vue plongeante sur la plaine du Pô. Pour y accéder, visez d’abord le lac du Loup, puis montez vers le Pas Salsa en restant sur l’itinéraire le plus évident, car la pente est parfois raide. Une fois au col, vous apercevrez le refuge jouxtant le lac Mongioia.

Si vous arrivez tôt et que les conditions de neige sont bonnes, vous pouvez ajouter 300 m de dénivelé pour atteindre le Mont Salsa. Là-haut, la vue est époustouflante : panorama grandiose sur les Écrins, la Vanoise, le Mont-Blanc, le Grand Paradis et même le Mont Rose ! Par temps clair, c'est avec certitude une vue qui vous marquera à vie !

Vue depuis le magnifique Mont de Salsa

Jour 3 :

Pour cette dernière journée, plusieurs options s'offrent à vous :

  • Retour à Saint-Véran par une variante passant par le col de la Noire et la Petite Tête Noire (attention, ça gaze un peu !). C'est l'itinéraire que nous avions choisi, avec 600 m de dénivelé.
  • Descente vers Ceillac via le col Nord de Cristillan/col de la Cula (1 000 m de dénivelé) puis le Bois Noir et les Chalmettes !
  • Rejoindre Ceillac en passant par le col Albert (1 000 m de dénivelé).
  • Dernière option aller à Ceillac par le Col de Girardin et en redescendant via le Lac Sainte Anne
N'hésitez pas à vous prendre une carte IGN hors ligne, comme sur Whympr ou bien la Carte des pentes du Gouvernement.


⚠️
Attention : Cet itinéraire est donné à titre indicatif et ne remplace en aucun cas une préparation rigoureuse ni une évaluation des conditions sur le terrain. Vous êtes seul responsable de votre sécurité en montagne. Assurez-vous d’adapter votre choix à votre niveau, à la météo et à l’état du manteau neigeux. Munissez-vous du matériel adéquat et renseignez-vous auprès des professionnels si besoin.